Budget de la Justice pour 2024

Publié le 03/11/2023 dans les catégories Justice

Patrick Hetzel a prononcé deux discours au sujet du budget de la Justice dans l’hémicycle de l’Assemblée Nationale, jeudi le 2 novembre. Le premier en sa qualité de rapporteur spécial de la mission Justice. Et le second, en sa qualité d’orateur du groupe Les Républicains au sujet du même projet de budget.

Discours comme rapporteur spécial :

« Madame la Présidente, Monsieur le Ministre, Monsieur le rapporteur général, Mes chers collègues,

Le projet de budget 2024 respecte la trajectoire prévue par la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice, votée définitivement le 11 octobre dernier. 

Il s’agit d’un budget en augmentation, à hauteur de + 13,72 % en autorisations d’engagements (AE) et + 5,10 % en crédits de paiement (CP). Hors contribution au compte d’affectation spécial (CAS), les crédits de paiement du ministère de la justice s’établiraient à 10,08 milliards d’euros, en augmentation de 503 millions d’euros par rapport à 2023.

Dans le détail, pour ce qui est des crédits « hors titre 2 » c’est le programme 166 Justice judiciaire qui porte l’essentiel de la hausse des crédits, l’augmentation considérable des AE du programme 107 Administration pénitentiaire étant en réalité due pour une large part au renouvellement des marchés de gestion déléguée, pour près d’1 milliard d’euros. A noter une augmentation de 14 millions d’euros des frais de justice, dépenses que le ministère ne parvient pas à rationnaliser malgré le lancement d’un plan de maîtrise des frais de justice. En ce qui concerne l’administration pénitentiaire, la programmation immobilière déçoit. Les AE et les CP de cette ligne sont en baisse, alors que le calendrier de mise en œuvre du plan « 15 000 », désormais « plan 18 000 » devrait se traduire par un très fort volume d’engagements en 2024 et 2025. C’est l’inverse que l’on constate, avec des crédits d’investissement qui diminuent pour 2024 de 60 millions d’euros en AE, et de 32 millions d’euros en CP. Pour 2025, c’est une véritable dégringolade qui est prévue, avec une chute de près de 80% des AE, à 148 millions d’euros, avant une remontée prévue en 2026 à près d’un milliard d’euros, liée en grande partie à la très lourde réhabilitation de la prison de Fresnes. Si ces variations sont normales en matière de grands projets d’investissement, c’est leur calendrier qui interroge. Ces signaux confirment le retard pris dans le plan de constructions de places de détention, comme j’ai pu le détailler dans mon rapport d’information du 25 mai 2023. L’essentiel des investissements sera lancé en toute fin de programmation.

En ce qui concerne les emplois en revanche, les hausses sont les bienvenues. Pour le programme 166, les dépenses de personnel sont en augmentation de 8,8 % par rapport à la LFI 2023, notamment au titre de la création de 1 274 emplois supplémentaires pour renforcer les juridictions. Pour ce qui est du programme 107, la hausse de 5,7 % des crédits de titre 2 est liée notamment à la création de 447 emplois supplémentaires, ainsi qu’aux mesures catégorielles nouvelles dont bénéficient les personnels pénitentiaires.

Il s’agit donc d’un nouveau budget en croissance fondé sur l’augmentation des crédits et des emplois de l’ensemble des programmes. Seule l’Administration pénitentiaire voit comme je l’ai dit ses autorisations d’engagement diminuer à raison du ralentissement observé dans l’engagement des opérations relevant du plan de construction de places de prison destinées permettre l’application dans les faits du principe d’encellulement individuel.

Pour autant, rien n’assure que la programmation retenue contribue réellement au renforcement de l’efficacité de la Justice. La programmation se heurte régulièrement à d’importants problèmes structurels que constituent le poids des restes à payer, ainsi que des facteurs de non maîtrise de la dépense.

Deux récents rapports de la Cour des comptes sur l’aide juridictionnelle et sur les centres éducatifs fermés démontrent à quel point le ministère de la Justice a du mal à transformer l’essai.

Je redis mon souhait que le Secrétaire général du ministère de la Justice puisse enfin assumer pleinement le rôle d’instance de pilotage qui lui est assigné. La croissance des crédits ne fait que renforcer ce besoin, elle ne doit pas contribuer à le masquer !

Le rapport de M. Sauvé remis à la suite des états généraux de la justice dresse un tableau extrêmement sombre. Dégradation de l'institution judiciaire, souffrance du personnel, incompréhension des justiciables... les mots sont forts et tous évoquent une réelle « désespérance collective ».

Sur l’important sujet du plan prison, les retards pris ne sont plus tolérables étant donnée la forte attente de nos concitoyens en matière de sécurité et d’efficacité de la chaîne pénale.

Monsieur le Ministre, quelles décisions envisagez-vous de prendre en matière d’organisation, de pilotage et de suivi, afin que l’impact de ces hausses de moyens puissent se traduire enfin et de façon visible, par une diminution des délais de jugement et une baisse du taux de surpopulation carcérale ?

Pour ces raisons, j’émets un avis défavorable à l’adoption des crédits de la mission. En effet, cet avis a pour objectif d’alerter le Ministère sur la nécessité d’améliorer enfin efficacement son pilotage. Il serait opportun que la représentation nationale soit écoutée par l’exécutif sur ce point. »

 

Discours comme orateur du groupe Les Républicains :

« Madame la Présidente, Monsieur le Ministre, Monsieur le rapporteur général, Mes chers collègues,

Nous sommes face à un budget en trompe-l’œil : selon le point de vue que l’on adopte, on ne voit pas la même chose. Il est vrai que les crédits de la mission Justice augmentent de plus de 5 % en crédits de paiement mais, dans la mesure où l’inflation est au même niveau, il s’agit plutôt, en réalité, d’une stagnation.

S’agissant de la répartition des efforts, nous prenons acte d’un nombre important de créations de postes dans les services judiciaires et l’administration pénitentiaire, mais il faudra examiner la part des titulaires et des contractuels. Les crédits alloués aux investissements immobiliers s’élèveront à 518 millions d’euros en 2024, soit une baisse de 132 millions par rapport à l’année dernière. En 2017, lorsqu’il était candidat, Emmanuel Macron s’était engagé à construire 15 000 nouvelles places de prison au cours de son mandat. Cet objectif a été ramené à 7 000, puis à 4 500. Dans les faits, seules 2 500 places supplémentaires ont été construites depuis 2017, si bien que la surpopulation carcérale ne baisse pas. Aujourd’hui encore, selon les données qui viennent d’être publiées par votre ministère, nous apprenons que le nombre de détenus est reparti à la hausse au 1er octobre avec 74 342 personnes incarcérées contre 73 693 en septembre. C'est la troisième fois depuis le début de l'année que le nombre de détenus franchit la barre des 74 000 alors que le nombre de places opérationnelles dans les prisons était de 60 850 au 1er octobre. La densité carcérale globale s'établit à 122,2 % contre 119,2 % il y a un an. Dans les maisons d'arrêt, le taux d'occupation est de 146,3 %. Il atteint ou dépasse même les 200 % dans dix établissements. 

Nous avions fait inscrire, lors de l’examen de la loi d’orientation et de programmation pour la justice, 3 000 places de prison supplémentaires, si bien qu’on ne devrait plus parler du plan « 15 000 », mais du plan « 18 000 ». Mais on voit bien que les annonces tonitruantes qui ont été faites ne seront pas suivies d’effets.

Certains secteurs sont en souffrance. La Cour des comptes vient de s’alarmer du manque d’encadrement de l’aide juridictionnelle. Elle dénonce l'absence de « doctrine claire d'attribution » de cette aide destinée aux personnes aux revenus et patrimoines modestes afin de rétribuer les avocats les assistant, l’absence « d'indicateurs fiables et pertinents lui permettant de les piloter », ainsi que les « défaillances » dans la gestion des procédures. Je note une des recommandations de ce rapport, en application de la loi de finances pour 2023, qui serait de mettre en place sans retard le dispositif de recouvrement des versements d'aide juridictionnelle garantie indus.

Je souligne aussi que la hausse des crédits alloués aux associations d’aide aux victimes, qui s’élève à 4 %, est inférieure à l’inflation.

La Cour des comptes a dressé un premier bilan des centres éducatifs fermés (CEF) et des établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM).

Là encore, le jugement est sévère.  « Les CEF et les EPM sont insuffisamment évalués, alors qu'ils mobilisent des moyens importants ». Elle invite votre ministère à « accomplir un effort d'évaluation de leur efficacité et de leur efficience, mesurées notamment par les taux de récidive et de réitération et le suivi des actions de formation et d'insertion ».

Enfin, chacun sait que les systèmes informatiques de nos tribunaux sont défaillants, ce qui nuit au traitement des affaires.

J’évoquerai enfin le mouvement historique de protestation des greffiers, du fait de promesses non tenues. Il y a eu des négociations, mais les chiffres que vous avancez, monsieur le garde des sceaux, ne sont pas ceux qui me sont rapportés sur le terrain : vous parlez d’augmentations de 300 euros par mois mais, dans les faits, elles dépassent rarement 100 euros. Vous dites que 3 200 des 11 000 greffiers passeront en catégorie A : sur quels critères seront-ils choisis ? Il importe de montrer à nos greffiers que nous avons conscience de leur importance dans l’organisation judiciaire.

Au vu de tous ces éléments, le groupe Les Républicains votera contre ce budget. »