Evaluation des programmes de construction des prisons
Publié le 26/05/2023 dans les catégories Justice
Voir la synthèse du rapport d’information sur les prisons.
Patrick Hetzel est intervenu sur l’évaluation des programmes de construction des prisons – commission d’évaluation des politiques publiques :
« Le 16 mai 2023, le centre pénitentiaire de Gradignan a suspendu les admissions de nouveaux détenus. Cette décision s’explique par le taux d’occupation de cet établissement, qui atteignait en mars 2023 plus de 200 %.
Cet exemple illustre notre incapacité à garantir des conditions dignes de détention.
Pourtant, depuis la fin des années 1980, six programmes immobiliers pénitentiaires ont été lancés, auxquels s’ajoute plus récemment le programme « 15 000 », annoncé en octobre 2018. En dépit de ces différents plans de construction, le taux d’occupation des prisons françaises s’est toujours maintenu au-dessus de 100 % et atteint désormais 118 % en moyenne et plus de 140 % en maison d’arrêt.
C’est pour comprendre les raisons de cet échec que j’ai décidé d’évaluer les programmes de construction pénitentiaire et d’analyser les raisons qui expliquent cette inexorable procrastination.
Les programmes immobiliers pénitentiaires ont tous un point commun : ils connaissent d’importants retards d’exécution et sont pratiquement tous revus à la baisse au cours de leur déploiement.
Ce fut par exemple le cas du programme annoncé par M. Chalandon en 1987, qui devait porter sur 25 000 places et qui a finalement permis de créer environ 11 000 places. Bien plus tard, cet écueil a également concerné le « dispositif d’accroissement des capacités », qui a permis de mettre en service 1 807 places supplémentaires, contre 3 000 initialement prévues.
Les outils dont a disposé l’administration pénitentiaire pour conduire ses programmes immobiliers ont toutefois évolué au fil du temps. Depuis le début des années 2000, elle bénéficie du concours de l’Agence publique pour l’immobilier de la justice, chargée de gérer les opérations de grande envergure. À travers les marchés de partenariat et désormais les contrats de conception-réalisation, l’administration pénitentiaire a également davantage recouru à des prestataires privés pour réaliser ses projets immobiliers.
Ces évolutions n’ont néanmoins pas eu grande influence sur les résultats obtenus par le ministère de la justice s’agissant de l’état de nos prisons et des conditions de détention.
J’en viens désormais au programme « 15 000 ». Ses contours ont été précisés par la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, qui prévoyait que son exécution se déroulerait en deux phases : une première phase concerne la construction de 7 000 places nettes de détention sur la période 2018-2022 et une seconde phase porte sur la construction de 8 000 places entre les années 2022 et 2027.
Le programme « 15 000 », dont le coût prévisionnel s’élève à 4,5 milliards d’euros au total, a été conçu pour soulager les maisons d’arrêt, qui connaissent les taux d’occupation les plus élevés, et favoriser une meilleure réinsertion des détenus. Une part importante des places devait donc être ouverte dans les structures d’accompagnement vers la sortie (SAS), situées plus proche des centres villes.
Dès le lancement de ce plan, plusieurs risques ont été identifiés. Le secrétariat général pour l’investissement avait ainsi, sur la base de l’évaluation socio-économique du programme et de sa contre-expertise, émis un avis favorable assorti de plusieurs réserves sur les bénéfices attendus du programme « 15 000 ».
Force est de constater que les objectifs de ce programme ne seront probablement pas atteints.
En premier lieu, seules 2 441 places avaient été ouvertes à la fin de l’année 2022, un chiffre bien en-deçà des 7 000 prévues.
Par ailleurs, parmi ces places, près de la moitié, soit 1 127, avaient été ouvertes en 2016 et 2017, bien avant l’annonce du programme « 15 000 » ! Plus largement, 2 081 places qui ont été ouvertes depuis 2018 relevaient de programmes de construction annoncés en 2012 et 2014.
Certaines places relevant de la tranche des 7 000 seront donc livrées avec un retard considérable. C’est notamment le cas du centre pénitentiaire de Gradignan, qui sera livré en 2026 ou encore des centres pénitentiaires de Lille et de Basse-Terre, qui seront livrés en 2027.
Tout porte donc à croire que l’échéance de 2027 ne sera pas tenue et que les places relevant de la tranche des « 8 000 » ne seront pas livrées avant 2030. En effet, 13 415 places restent à ouvrir ; l’échéancier qui m’a été transmis par l’administration pénitentiaire montre que plus de la moitié de ces places ne seront pas livrées en 2027.
Les retards de construction se conjuguent par ailleurs avec des difficultés importantes de recrutement, qui peuvent remettre en cause la capacité de l’administration pénitentiaire à mettre en service les établissements nouvellement construits.
Le schéma d’emplois des personnels de surveillance pénitentiaire est ainsi régulièrement sous-exécuté, comme j’ai pu l’évoquer plus tôt. Plusieurs mesures ont été prises par le ministère pour inverser cette tendance : une prime de fidélisation peut désormais être accordée aux élèves surveillants et un plan de requalification est en cours de montée en charge. Ces efforts doivent selon moi être approfondis.
En tout état de cause, le programme « 15 000 » semble sous-dimensionné et ne permettra pas de résorber la surpopulation carcérale ni d’atteindre un taux d’encellulement individuel de 80 % en 2027.
En effet, à l’issue du programme 15 000, 75 000 places seront opérationnelles, ce qui correspondra, selon les projections du ministère de la justice, au nombre de personnes détenues. Cependant, ces projections fortement volatiles seront certainement révisées. Par ailleurs, la répartition géographique des détenus ne coïncidera certainement pas avec la localisation des places disponibles.
Reprenons l’exemple du centre pénitentiaire de Gradignan : à la livraison du nouvel établissement en 2026 et à nombre de détenus inchangé, son taux d’occupation s’élèvera toujours à 120 % !
Ces constats sont partagés par la contrôleure budgétaire et comptable ministérielle, qui a réalisé un contrôle sur l’exécution du programme immobilier pénitentiaire et qui conclut à son incapacité à limiter la surpopulation carcérale. Je recommande donc d’étendre dès à présent le programme 15 000 et de prévoir la construction de places supplémentaires.
Les raisons permettant d’expliquer le rallongement des délais de construction des prisons sont multiples.
En premier lieu, l’ensemble des programmes immobiliers pénitentiaires ont été marqués par des difficultés importantes en matière de recherche foncière. Selon l’administration pénitentiaire, cela découle de contraintes en matière de faisabilité technique et environnementale et surtout de l’opposition des élus locaux et riverains aux projets de construction.
Pour ma part, je pense que les acquisitions foncières sont d’autant plus complexes que le ministère de la justice a fait le choix de rapprocher les prisons des centres villes, pour des raisons, il est vrai, liées à la réinsertion des détenus.
Trop peu de mesures ont été prises pour faciliter l’adhésion des élus locaux aux projets de construction de prisons. Plusieurs propositions, que je fais aujourd’hui miennes, ont été formulées par le passé sur ce sujet : nous pourrions par exemple modifier les modalités de calcul de la dotation de solidarité urbaine pour favoriser les communes accueillant un établissement pénitentiaire. Nous pourrions de surcroît comptabiliser les places de détention au titre des obligations incombant aux communes en matière de logement social.
La contrôleure budgétaire et comptable ministérielle fait également valoir que le coût du programme 15 000 dépassera les prévisions. À cet égard, 3,6 milliards d’euros, soit 80 % de l’enveloppe initiale, ont d’ores et déjà été délégués au profit de l’APIJ depuis 2017 afin de réaliser les opérations du plan « 15 000 ». Une part importante de ces crédits a été ouverte par la loi de finances initiale pour 2017 (1,56 milliard d’euros) et a ensuite fait l’objet de reports successifs jusqu’en 2019.
Nous disposons de peu de visibilité sur la manière dont l’administration pilote la dépense. Je propose donc qu’un échéancier d’ouvertures des crédits figure dans les documents budgétaires et fasse l’objet d’une actualisation annuelle.
Enfin le contrôle réalisé par la CBCM sur le programme 15 000 démontre que l’administration pénitentiaire rencontre de grandes difficultés pour formaliser ses commandes auprès de l’APIJ : les opérations qui lui sont confiées ne sont pas assorties d’objectifs explicites en matière de calendrier et de coût. Je recommande ainsi de déterminer des cibles claires, ce qui permettra de mieux évaluer le pilotage des programmes immobiliers du ministère de la justice. »