L'Opinion : Et si l'on évaluait le “pas de vague” au sein de l'Education nationale ?

Publié le 08/11/2018 dans les catégories Médias

«Et si l'on évaluait le “pas de vague” au sein de l'Education nationale?». La tribune de Martine Daoust et Patrick Hetzel

« Le raz de marée #pasdevague signe un réel problème de gestion, d'aide et d'écoute, voire d'indifférence de la hiérarchie de l'Education nationale vis-à-vis des problèmes professionnels réels »

Occurrence d'événements ? C'est au moment où on parle d'évaluation pour l'école que se répand au grand jour, après une menace d'élève envers un professeur, le mal-être des enseignants. Cet incident a surtout mis en évidence l'incapacité institutionnelle à apporter des réponses à ce malaise. L'approche sécuritaire et administrative annoncée est certainement nécessaire-encore que — mais mal adaptée aux besoins des établissements. Puisque le ministre se targue de mettre en avant la science, qu'il lise donc la bibliographie relative à l'importance de la qualité de vie en établissement scolaire comme facteur de réussite pour les élèves et de bien être pour les enseignants.

On ne saurait d'ailleurs trop lui conseiller de lire le rapport du CNESCO (1) sur la qualité de vie à l'école paru en 2017. Ce rapport est celui dont on rêve quand on se préoccupe d'enseignement : clair, argumenté avec une bibliographie internationale riche et récente, bref une aide à la décision qui devrait hanter la table de chevet, voire de travail du ministre. On peut y lire, et donc on ne peut plus dire qu'on ne savait pas, à quel point la qualité de vie à l'école est en lien direct avec l'environnement, la santé, le travail, l'estime de soi de chacun, en intégrant tous les domaines de la vie.

Déterminisme territorial. D'ailleurs, dans une deuxième salve, le CNESCO a fait paraître un autre rapport (2) mettant en avant les inégalités entre les établissements scolaires. Il est donc vraiment temps de faire disparaître le CNESCO : trop bon, trop dérangeant. Il pointe et écrit noir sur blanc ce que tout le monde pressent et/ou sait. Les inégalités scolaires d'origine territoriale sont peu explorées et demeurent taboues dans une République une et indivisible. Le déterminisme territorial, bien souvent associé au déterminisme social handicape à long terme des milliers de parcours scolaires. Et pourtant, on sait que ça existe, mais on ne fait pas de vague et on espère qu'il ne se passera rien.

Mais c'est autour de cette question qu'il faut mettre en place une évaluation digne de ce nom. Puisqu'il est question d'évaluation, pense-t-on un instant à évaluer la qualité de vie dans les établissements ? Cherche-t-on les raisons environnementales, économiques, sociales, territoriales qui handicapent certains établissements ? Ou va-t-on continuer à segmenter les jugements individuels ? Les élèves d'un côté, les enseignants de l'autre et l'établissement jamais ? Comme si le reste n'existait pas.

Clairement, si on commence à s'intéresser sérieusement à cet environnement de travail, avec les outils de mesure standardisés et à disposition de tous, on va voir apparaître des « effets de structures » majeurs dans la réussite ou l'échec des élèves, et là, c'est tout le système qu'il faudra interroger, y compris l'institution elle-même. C'est en effet plus dérangeant, et le « pas de vague » peut vite se transformer en mise « sous le tapis ».

Le déterminisme territorial, bien souvent associé au déterminisme social handicape à long terme des milliers de parcours scolaires. Et pourtant, on sait que ça existe, mais on ne fait pas de vague et on espère qu'il ne se passera rien

Pourtant, les études dont celles réalisées au sein de l'Institution (3), mettent en avant que pour les élèves, la satisfaction et le bien-être scolaire sont directement associés aux résultats scolaires mais aussi à l'environnement : soutiens entre élèves, climat de classe et confiance dans les enseignants. Pour les enseignants, il suffit de lire le rapport du médiateur de l'Education nationale (4) pour connaître les causes de souffrance et de pression du personnel : formation inadéquate par rapport à la diversité des publics, relations tendues avec les parents, considération négative du métier relayée dans l'ensemble de la société française ou encore difficultés non accompagnées pour la mise en place des réformes. Actuellement, le raz de marée #pasdevague sur les réseaux sociaux signe un réel problème de gestion, d'aide et d'écoute, voire d'indifférence de la hiérarchie de l'Education nationale vis-à-vis des problèmes professionnels réels.

Au regard de tous ces arguments, pourquoi continue-t-on à refuser des approches plus intégratives du système ? pourquoi continuer à évaluer chacun séparément sans tenir compte de l'accompagnement nécessaire dans certains établissements ? La réponse sécuritaire annoncée semble tellement dérisoire relativement à l'insuffisance humaine. Il est surprenant que les pistes envisagées gardent sous silence le manque criant d'approche sanitaire : pratiquement aucun médecin de prévention pour les personnels et un petit millier de médecins scolaires pour 12 millions d'élèves. Cette indigence sanitaire dans les établissements participe au sentiment de mal-être de tout le monde. Vers qui se tourner ? Il n'y a pas d'interlocuteurs et les problèmes rencontrés sont laissés sous le tapis. Les registres à renseigner, qui d'ailleurs sont déjà largement en usage, ne suffiront pas à améliorer le climat délétère qui fait s'affronter les enseignants à leur hiérarchie.

Evaluation indépendante. Puisqu'il est question d'évaluation, il serait temps de pratiquer une véritable évaluation indépendante, qui replace chacun dans son environnement immédiat, et dont les recommandations sont suivies d'une remédiation spécifique et non punitive. Elle ne doit pas être une sanction mais une aide au soutien des établissements en difficulté. Se doter d'une structure d'évaluation réellement indépendante et qui implique le personnel de terrain avec une analyse objective de la qualité de vie serait un premier pas vers la prise en compte du climat scolaire comme facteur de réussite et de protection.

Sans compter qu'un tel dispositif d'évaluation réellement indépendant permettrait aussi au Parlement de se saisir de cette question et d'éviter que les instances d'évaluation ne soient placées sous la seule autorité du Ministre de l'Education nationale, ce qui n'est pas un gage d'objectivité ou d'indépendance des évaluations qui seront rendues publiques uniquement après son nihil obstat. En somme, d'intenses débats sont à prévoir au Parlement au sujet d'une loi que le Ministre de l'Education comptait mettre à profit à des fins de communication à sens unique. Décidément, l'état de grâce est désormais passé pour le locataire de la Rue de Grenelle !

Martine Daoust, Professeur de pharmacie, ancien recteur d'académie, et Patrick Hetzel, député du Bas-Rhin, ancien recteur d'académie.

(1) La qualité de vie à l'école, rapport du CNESCO 2017, A.Florin et P.Guimard. (2) Inégalités scolaires d'origine territoriale en france métropolitaine et d'Outre-mer, rapport du CNESCO, octobre 2018

(3) HBSC 2011

(4) Rapport du médiateur 2015