Garantir la liberté d’expression dans les médias

Publié le 23/02/2024 dans les catégories Médias

L’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789 proclame que : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».

La liberté d’expression et la liberté de la presse sont enracinées dans notre histoire politique, juridique et culturelle depuis le siècle des Lumières. Il faut relire Beaumarchais : « (...) il s'est établi dans Madrid un système de liberté sur la vente des productions, qui s'étend même à celles de la presse ; et que, pourvu que je ne parle en mes écrits ni de l'autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l'Opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, je puis tout imprimer librement, sous l'inspection de deux ou trois censeurs (…) » (Beaumarchais, Le mariage de Figaro, acte V, scène 3).

Le Conseil constitutionnel juge depuis longtemps qu'« il appartient au législateur de concilier [...] l'exercice de la liberté de communication [...] avec [...] les objectifs de valeur constitutionnelle que sont la sauvegarde de l'ordre public, le respect de la liberté d'autrui et la préservation du caractère pluraliste des courants d'expression socioculturels » (Cons. const., n° 82-141 DC, 27 juillet 1982, cons. 5). Le pluralisme imposé aux médias audiovisuels est d’abord externe : les téléspectateurs et auditeurs doivent pouvoir choisir entre des moyens d’informations audiovisuels différents et qui ont des propriétaires différents (Cons. const., n° 86-217 DC, 18 septembre 1986, cons. 11). Le respect de cet objectif implique une « exigence constitutionnelle de limitation des concentrations » dans le domaine des médias (Cons. const., n° 86-217 DC, 18 septembre 1986, cons. 37). Le pluralisme est aussi interne : les médias, surtout les médias du secteur public, ont l’obligation de faire une place, dans leurs programmes, à l’expression de différents courants d’opinions et de pensées (politiques, syndicaux ou religieux).

Ainsi, l’article 1er de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication prévoit que la « communication au public par voie électronique est libre » à la condition de respecter le « caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion ». L’article 3-1 de cette même loi confie à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) la mission de veiller au « respect du pluralisme de l’information ». Son article 13 charge l’Arcom d’assurer le respect du pluralisme dans l’ensemble des programmes et, en particulier, pour les émissions d’information générale. Cependant, cette exigence de pluralisme doit être conciliée avec l’indispensable liberté éditoriale des médias. Cette liberté éditoriale est d’ailleurs reconnue aux chaînes publiques à l’article 44 de la loi : « Lorsqu’ils diffusent des journaux télévisés, les services de la société France Télévisions disposent d’une ligne éditoriale indépendante ». Cette liberté définit l’identité même des médias qui découle des choix rédactionnels des journalistes et des responsables de rédactions. En se fondant sur la délibération n° 2017-62 du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) du 22 novembre 2017 relative au principe de pluralisme politique dans les services de radio et de télévision, l’Arcom a estimé qu’elle ne devait prendre en compte, pour apprécier le respect du pluralisme de l’information, que l’équilibre des temps de parole accordés aux seules personnalités politiques.

Par une décision n° 463162 du 13 février 2024, le Conseil d’État a jugé que l’Arcom ne pouvait légalement apprécier le respect du pluralisme au seul regard du temps d’antenne accordé aux personnalités politiques mais que le non-respect de la diversité des courants de pensée et d’opinion exprimés par l’ensemble des participants aux programmes diffusés était lui aussi susceptible de constituer un manquement à cette exigence. Cette interprétation donnée par la jurisprudence du Conseil d’État de la notion de pluralisme est contraire à la volonté du législateur. Conformément à cette décision du Conseil d’État, l’Arcom devra désormais prendre en compte le temps de parole non seulement des personnalités politiques invitées mais aussi de toutes les personnes qui participeront aux programmes diffusés (éditorialistes, chroniqueurs, animateurs, invités, etc.). Cette jurisprudence va conduire l’Arcom à devoir évaluer systématiquement la sensibilité politique de tous les participants aux programmes diffusés dans les médias audiovisuels ce qui est un exercice très délicat, voire même impossible à réaliser dans la pratique. L’Arcom, autorité publique indépendante, ne bénéficie ni des ressources humaines, ni des moyens techniques pour le faire. Cette décision du Conseil d’État risque de transformer l’Arcom en monstre bureaucratique, ce qui n’est pas son rôle, il s’agit d’une autorité de régulation qui a pour objectif de protéger la liberté d’expression, pas de la réduire à néant. Or, comme l’écrit l’ancien directeur général du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel, Jean-Eric Schoettl : « Après la décision du Conseil d’État, c’est à une véritable inquisition que l’Arcom devra se livrer ».

La portée maximaliste de la nouvelle jurisprudence du Conseil d’État apparaît peu compatible avec la liberté d’expression qui est, elle aussi, garantie à l’article 1er de la loi du 30 septembre 1986. Compte tenu de la grande diversité du paysage actuel des médias audiovisuels, le respect du caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion dans notre pays ne paraît pas requérir de limiter la liberté d’expression des médias en leur demandant d’assurer ce pluralisme eux-mêmes en présentant systématiquement des contrepoints aux thèses que promeuvent l’ensemble de leurs invités sur les plans politique, philosophique ou social.

Par ailleurs, cette décision est contraire à la jurisprudence traditionnelle et bien établie du Conseil d’État selon laquelle le principe est celui de la pleine liberté éditoriale des médias qui ne peut être restreinte que dans des limites très strictes. Ainsi, les médias audiovisuels privés bénéficient en principe d’une liberté analogue à celle de la presse écrite (CE, 6 mars 1983, Putz, p. 178). Cette liberté éditoriale de principe va très loin puisque, même dans le domaine audiovisuel dans lequel la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication donne compétence à l’Arcom pour faire respecter le pluralisme des courants de pensée et d’opinion, le Conseil d’État a jugé qu’il n’était pas possible à l’Arcom d’imposer à une radio qui se donne pour vocation d’assurer l’expression d’un courant particulier d’opinion de réserver un accès à l’antenne à d’autres courants de pensée (CE, 27 novembre 2015, n° 374373, Association Comité de défense des auditeurs de Radio Solidarité).

Comme il existe des « radios d’opinion » dans notre pays, il doit pouvoir exister des « chaînes de télévision d’opinion ». Les téléspectateurs auxquels la programmation de ces « chaînes d’opinion » déplaît peuvent toujours regarder une autre chaîne. C’est le principe même de la liberté !

Ainsi, l’article unique de la proposition de loi que Patrick Hetzel cosigne avec d’autres députés de son groupe, modifie l’article 1er de la loi du 30 septembre 1986 pour affirmer un principe de liberté éditoriale des services de radio et de télévision privés. Il modifie aussi l’article 13 de cette même loi pour préciser que pour apprécier le respect du pluralisme de l’information, l’Arcom se limite à contrôler l’équilibre des temps de parole accordés aux seules personnalités politiques.