Identifier l’origine géographique réelle des produits commercialisés au sein du marché unique

Publié le 12/11/2021 dans les catégories Europe

Les consommateurs français et européens sont de plus en plus regardants sur les produits qu’ils achètent et accordent une importance particulière à leur origine géographique, sur la base de critères aussi bien qualitatifs que sociaux, écologiques, éthiques ou économiques. La connaissance de l’origine géographique est un élément déterminant de son acte d’achat.

Conscients de cet argument marketing, les acteurs commerciaux ne se privent pas pour apposer sur leurs marchandises des mentions « made in » ou des signes distinctifs d’une origine géographique réputée et des entreprises peu scrupuleuses n’hésitent pas à user d’une publicité trompeuse sur l’origine pour écouler leurs marchandises alors que celles-ci n’entretiennent avec le territoire considéré qu’un lien très ténu voire inexistant. Il appartient au législateur de concrétiser le droit théorique à l’information du consommateur par l’instauration d’un cadre juridique contraignant à l’égard des acteurs commerciaux afin de protéger le consommateur d’une publicité susceptible de l’induire en erreur.

Les règles actuellement en vigueur sont loin de permettre au consommateur de s’y retrouver. Actuellement, à l’exception de certains produits agricoles ou alimentaires, aucune disposition européenne ou nationale n’impose l’apposition d’un marquage d’origine sur les produits importés ou fabriqués dans l’Union européenne et lorsqu’un marquage d’origine est volontairement apposé sur un produit commercialisé au sein du marché unique, celui-ci doit être conforme aux règles dites « d’origine non préférentielle ».

Ces règles, définies à l’article 60§2 du code des douanes de l’Union, font qu’il suffit qu’une transformation suffisamment importante du produit ait été réalisée en dernier lieu dans un pays, pour permettre au produit d’être étiqueté « made in » ou de porter un signe distinctif laissant supposer son origine. Concrètement, cela signifie qu’il n’est pas exigé que le produit ait été principalement transformé dans le pays en question, ni que les matières premières qui le composent aient été majoritairement issues de son sol, ni que son coût de revient y ait été essentiellement généré.

Ces règles issues de la législation douanière sont également celles utilisées par les autorités publiques pour contrôler au titre des pratiques commerciales trompeuses les mentions d’origine sur l’étiquetage des produits commercialisés au sein du marché unique.

En conséquence, du fait de la divergence de définition de l’origine géographique entre l’idée que s’en fait le consommateur moyen et la conception fondée sur une logique douanière qu’en ont les autorités publiques, le consommateur français est aujourd’hui induit en erreur en toute légalité sur l’origine du produit qu’il achète. Au niveau européen, seuls certains produits agricoles ou alimentaires font aujourd’hui l’objet de législations plus protectrices de l’information sur l’origine.

En dehors de ces cas, l’application des « règles d’origine non préférentielle » prévaut pour tous les produits alimentaires transformés et les produits non alimentaires et un risque d’incompatibilité avec le droit de l’Union pèse sur toute norme nationale visant à modifier ces règles. En effet, la compétence exclusive de l’Union dans le domaine de l’union douanière, en application de l’article 3 a) du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) exclut évidemment toute interprétation nationale divergente des règles « d’origine non préférentielle » dans le cadre du contrôle douanier. En ce qui concerne la protection des consommateurs, le règlement (UE) n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011, en entendant harmoniser la question de l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires, a privé le législateur national de sa compétence en ce qui concerne l’étiquetage de l’origine des produits. Pour ce qui concerne les produits non alimentaires, si aucune réglementation européenne n’a à ce jour expressément harmonisé les modalités de publicité sur l’origine géographique apposée sur l’étiquetage de l’ensemble des produits commercialisés au sein du marché unique, les règles nationales demeurent néanmoins soumises à la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne en matière de mesures d’effet équivalent à des restrictions quantitatives (MERQ) à l’importation fondée sur les articles 34 et 36 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).

Or, cette jurisprudence augure d’une vraisemblable incompatibilité avec le droit de l’Union d’une norme nationale qui restreindrait les possibilités d’apposition d’un marquage « made in » ou d’autres signes distinctifs d’une origine géographique par l’application de critères plus exigeants que ceux actuellement pratiqués. La Cour pourrait qualifier, si un contentieux se présentait à elle, de condition de vente, l’apposition d’une mention « made in » ou d’un signe distinctif d’une origine géographique et de MERQ la règle nationale, même édictée sur des critères objectifs et non discriminatoires, qui en restreindrait la possibilité. Une mesure nationale qui durcirait unilatéralement les critères de l’étiquetage « made in » aurait à la fois pour effet de contraindre les acteurs commerciaux à modifier le packaging de l’ensemble des produits étrangers importés sur le territoire national et de potentiellement diminuer leurs ventes par la perte de l’argument marketing du « made in ». Il n’est pas certain que la Cour admette une mesure nationale ayant un impact aussi important sur l’accès au marché national des produits étrangers alors qu’elle considère par ailleurs qu’en vertu du principe de reconnaissance mutuelle, les produits étrangers sont présumés apporter les mêmes garanties de qualité au consommateur. En tout état de cause, la prise d’une telle mesure nationale demeure juridiquement incertaine.

L’échelon européen constitue le niveau le plus pertinent pour poser les bases d’une nouvelle législation plus protectrice des consommateurs. Si l’article 4 f) du TFUE lui donne compétence pour le faire, notamment par la voie de la procédure d’harmonisation des législations de l’article 114, les dispositions du traité lui en donnent également le devoir (article 169 et article 12).

A cet égard, il est primordial que l’Union opère une distinction entre la législation douanière sur l’origine qui est utile pour déterminer les droits de douane applicables aux produits importés au sein du marché unique et la législation applicable à la publicité des produits qui relève du droit de la consommation et qui doit être motivée par la protection des intérêts des consommateurs et son corollaire indispensable qu’est le droit à l’information sur le produit, notamment son origine géographique.

Les règles sont en réalité éminemment complexes et sont totalement incompréhensibles du consommateur final, si tant est qu’elles soient connues de lui. Les règles nouvelles que l’Union européenne édictera devront au contraire être simples, claires et surtout correspondre à l’idée que le consommateur final se fait d’un produit « made in ». Refuser une telle modification reviendrait à se rendre complice des acteurs commerciaux qui bénéficient indûment de l’argument publicitaire sur l’origine géographique et in fine à maintenir un système qui permet de tromper le consommateur en toute légalité. En ce sens, le sujet de l’étiquetage « made in » constitue pour l’Union européenne une occasion unique de démontrer qu’elle n’est pas une simple administration technique promouvant un principe de libre circulation des marchandises de façon complètement abstraite et déconnectée des besoins des populations, mais une véritable institution politique au service des citoyens des Etats membres qui la composent. C’est pourquoi Patrick Hetzel vient de cosigner une proposition de résolution dans ce sens.