Recherche : une loi « sans orientation stratégique » et qui « manque d’envergure ».

Publié le 25/09/2020 dans les catégories Enseignement Sup & Recherche

Patrick Hetzel s’est très fortement impliqué dans les débats concernant la loi de programmation pluriannuelle pour la recherche (LPPR) d’autant plus qu’il fut l’orateur du groupe Les Républicains sur ce texte à l’Assemblée nationale.

Son intervention à la tribune lors de la discussion générale :

« Monsieur le Président, Madame la Ministre, Mes chers collègues,

La recherche française a besoin de visibilité et mérite une loi de programmation pluriannuelle. Toutefois, pour qu’une loi de programmation soit efficace au moins deux conditions doivent être réunies : d’une part elle doit avoir des objectifs clairs et d’autre part, elle doit être consensuelle. Concernant les objectifs, le gouvernement ne sait pas où il va. Il n’y a pas de vision stratégique, pas de souffle, pas de mise en perspective pour montrer que la recherche française est plus que jamais stratégique, pour la France, pour construire son avenir et rester dans le peloton de tête du concert des Nations. Où est l’Etat stratège dans ce texte ? Mon groupe politique, comme d’autres ici dans l’hémicycle, nous sommes les héritiers du programme du Conseil National de la Résistance. Celui-ci avait su donner un élan salutaire grâce à un Etat qui insuffla une vision pour construire la France du futur en s’appuyant sur toutes ses forces vives, dont les chercheurs. Avec votre texte de loi, nous sommes hélas loin de tout cela, c’est avant tout une juxtaposition de mesures technocratiques.

Concernant le consensus, là aussi, c’est peu de dire que ce texte ne rassemble pas, ne crée pas de vision partagée. Ce texte, c’est celui de la défiance là où il devrait être celui de la confiance. Or, l’expérience montre qu’une loi de programmation pour laquelle le gouvernement n’a pas réuni préalablement un minimum de consensus est vouée à l’échec avant même qu’elle ne soit mise en œuvre, puisque toute alternance politique risque de la remettre en cause et que les principaux acteurs concernés n’y adhèrent pas.

Vous l’aurez compris : l’inexistence d’une véritable vision stratégique et le manque de consensus sont de nature à sérieusement remettre en cause votre projet de loi.

Mais les problèmes de ce texte ne s’arrêtent hélas pas là. Ainsi, on peut déplorer que la programmation se fasse sur dix ans et non pas sept comme toutes les lois de programmation jusqu’à présent. D’ailleurs la quasi-totalité des groupes politiques le disent. Tout comme le Conseil d’Etat. Sans compter que lorsqu’on promet des milliards pour 2027, 2028, 2029 et 2030, on peut douter de la sincérité de la promesse puisqu’elle enjambe deux quinquennats. Concernant les financements, il y a donc un problème de calendrier mais aussi un problème de tempo. Si l’on veut redresser la barre pour la recherche française, il faut qu’elle dispose de moyens conséquents dès à présent. Et c’est en début de programmation qu’il faudrait être le plus audacieux, le strict inverse de ce que vous faites.

Votre programmation budgétaire interroge Madame la Ministre : calendrier, tempo mais aussi modalités du financement. En effet, de combien sera véritablement le budget du programme 172 dans le temps, une fois neutralisé les effets du « compte d’affectation spéciale » pour les pensions ? Il s’agit certes de dépenses de l’Etat pour payer les retraites des chercheurs mais ce sont des sommes financières que les labos ne verront jamais. De même, vous nous annoncez des hausses substantielles de budget mais en parallèle, nous savons qu’avec la réforme des retraites, les charges patronales pour l’Etat vont baisser. Cette baisse de cotisation est une baisse de dépense pour l’Etat. Pour le périmètre de l’Enseignement supérieur et de la recherche ces baisses seront d’environ 20 Milliards d’Euros sur la période 2021/2030. Et vous nous annoncez 15 Milliards pour la recherche sur cette même période. On peut donc légitimement s’interroger pour savoir s’il ne s’agit pas juste d’une opération de bonneteau et par laquelle de surcroît, l’Etat redistribue moins à la recherche qu’il n’en récupère par ailleurs avec cette baisse des cotisations.

Un autre problème majeur de votre loi porte sur le fait que vous ne vous préoccupez pas vraiment de la question de l’articulation entre recherche publique et recherche privée. A titre d’illustration dans les sciences du vivant, le budget annuel consacré à la recherche par les industriels du médicament en France s’élève à 4,5 Milliards d’Euros lorsque le financement public représente 47 Millions d’Euros soit 1% du budget total. C’est bien cette complémentarité de la recherche publique avec la recherche privée qui permet l’innovation et aux patients de bénéficier de traitements. Ce sujet est d’autant plus stratégique lorsque l’on met cela en perspective avec la pandémie de la Covid-19.

Enfin, ce texte traduit une vision dichotomique où il y a d’un côté la recherche et de l’autre l’enseignement supérieur. Madame la Ministre, je vous ai déjà alerté sur ce sujet en commission : vous négligez le rôle essentiel de l’enseignement supérieur en général et de nos universités en particulier en matière de recherche. En effet, au cours des dernières décennies, le rôle des universités en matière de recherche s’est très fortement accentué et c’est heureux. Le problème, c’est que votre texte de loi semble totalement l’ignorer. Encore une occasion manquée pour enfin mettre nos universités au cœur de notre système de recherche, y compris dans la loi.

Pour toutes ces raisons, vous comprendrez que notre groupe est d’un scepticisme extrême vis-à-vis de ce texte qui est plus destiné à faire de la communication gouvernementale qu’à agir. »