Rétablir le régime de déclaration de l’instruction en famille

Publié le 22/09/2023 dans les catégories Education nationale

Si la loi du 28 mars 1882, dite Loi Ferry, a rendu l’instruction obligatoire, elle laissait toutefois une liberté de choix aux parents quant à la méthode d’instruction. Ainsi, il leur était possible d’inscrire leurs enfants au sein d’un établissement d’enseignement public ou privé ou de choisir de les instruire eux-mêmes par l’instruction en famille (IEF). C’est un principe fondamental de notre démocratie et de notre Constitution. Dans sa décision n° 77-87 DC du 23 novembre 1977, le Conseil constitutionnel a consacré la liberté de l’enseignement comme l’un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Cette liberté est également européenne puisque inscrite à l’article 2 du Protocole n° 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui prévoit que « l’Etat, […] respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques. »

Lors d’une audition au Sénat en juin 2020, le ministre de l’Éducation nationale d’alors, Jean-Michel Blanquer rappelait que : « la liberté d’instruction à domicile a un fondement constitutionnel puissant ». Or la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République a mis à mal ce fondement. En effet, l’article 49 fait passer l’IEF d’un régime de déclaration à un régime d’autorisation préalable avec des critères très restrictifs.  

Les motifs allégués pour cette modification ont été un risque de communautarisme ou de séparatisme. Il y a environ 62 000 enfants instruits en famille, ce qui représente 0,4 % des effectifs en âge d’instruction obligatoire. Cela constitue clairement une mesure dérisoire face à la finalité recherchée, à savoir la lutte contre l’endoctrinement et le séparatisme. Par ailleurs, à ce jour, aucun élément fiable et documenté ne permet d’identifier de risques de dérives de communautarisme ou séparatisme pour l’immense majorité des enfants IEF.

Selon des chiffres issus d’un rapport du Sénat du 7 juillet 2020, 92,8 % des contrôles IEF ont été jugés satisfaisants. C’est un résultat supérieur aux taux obtenus par les élèves scolarisés dans un établissement scolaire. Les parents, très majoritairement, s’appliquent à instruire leurs enfants en famille en construisant pour cela un projet éducatif, pédagogique et familial adapté à chacun d’eux, dans le respect des exigences de la loi, dans leur intérêt supérieur et pour leur bien-être. Plutôt que d’appliquer cette mesure radicale, il aurait été préférable d’augmenter les moyens et ressources affectés au contrôle des enfants IEF en formant et dédiant un plus grand nombre d’inspecteurs à ce contrôle, ou encore en développant un outil normé de contrôle. De plus, les dispositifs de contrôle existants permettaient déjà d’alerter sur d’éventuelles dérives sectaires.

Dans un Etat de droit, la liberté doit rester la règle et non l’exception. La substitution du régime de déclaration par le régime d’autorisation prévu par la loi constitue un recul grave pour une liberté fondamentale. Cela ne peut qu’accentuer la défiance des familles et cela porte atteinte à la liberté de conscience et ouvre la porte à la rupture d’égalité et à l’insécurité juridique. Qu’en est-il de la mise en œuvre de ce régime deux ans après la promulgation de la loi ?

De nombreux parents d’élèves se sont vu refuser cette autorisation alors que la situation de leurs enfants répond aux critères prévus par la loi. Au moins la moitié des nouvelles demandes sont refusées à des familles qui pratiquaient déjà l’instruction dans la famille et qui devraient donc pouvoir continuer à le faire. Les conséquences de ce refus sont désastreuses : fratries séparées, enfants en difficulté scolaire... 

Les parents d’élèves témoignent de difficultés à obtenir les motifs explicites du refus d’autorisation. Ils s’inquiètent du manque de transparence des décisions de l’éducation nationale sur : 

- le nombre d’autorisations enregistrées ; 

- le nombre de refus, avant et après recours, en précisant les motifs ; 

- la répartition de ces chiffres par académie ; 

- le nombre de contrôles effectués par les autorités académiques ; 

- le nombre de cas répondant explicitement aux critères inscrits dans la loi dite de lutte contre le séparatisme, qui vise à lutter contre l’islamisme radical.

Le 5 avril 2023 dans l’hémicycle, avait lieu un débat sur le bilan de la loi confortant le respect des principes de la République. Mme Sonia Backès, Secrétaire d'État auprès du ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, chargée de la Citoyenneté, répondant aux questions des parlementaires affirmait : « Les refus motivés par le séparatisme occupent effectivement une place marginale, mais encore une fois, le principe d’autorisation préalable n’empêche pas ceux qui ont besoin de l’instruction en famille d’y recourir. Ceux qui peuvent y avoir droit y ont droit. Ce principe ne leur crée aucune difficulté et je ne vois pas pourquoi il est contesté ».

Les nombreuses remontées du terrain montrent hélas que la réalité est toute autre. Les parents sont confrontés à des lourdeurs administratives, à l’inquiétude d’une réponse de l’éducation nationale, à des refus après avoir obtenu des autorisations les années précédentes.  La liberté de choix des parents pour l’instruction dans la famille, si elle doit être encadrée, ne doit pas pour autant être remise en cause. La lutte contre les séparatismes et le radicalisme religieux ne doit pas être un prétexte pour enlever aux parents leur rôle de premiers éducateurs de leurs enfants. Or, par cet article de loi, il y a manifestement une atteinte à la liberté d’enseignement. C’est pourquoi Patrick Hetzel a cosigné la proposition de loi dans ce sens, proposée par son collègue Xavier Breton.