Budget de la mission Justice pour 2021
Publié le 23/10/2020 dans les catégories Justice
Patrick Hetzel est intervenu au sujet du projet de budget de la mission Justice pour 2021 en commission des finances (vidéo ci-dessous):
« Madame la Présidente, Monsieur le rapporteur général, Mes chers collègues,
En 2021, la mission Justice bénéficiera d’un peu plus de 12 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE) et de 10 milliards d’euros en crédits de paiement (CP), soit une augmentation de 32% pour les AE et de 7% pour les CP. Contrairement à l’année dernière, le projet de loi de finances pour 2021 respecte cette année la trajectoire budgétaire prévue dans la loi de programmation et de réforme pour la justice. L’année dernière, je vous le rappelle, mes chers collègues, la loi de finances pour 2020 prévoyait un budget inférieur de 115 millions d’euros à la programmation 2018-2022, qui venait pourtant d’être adoptée. En 2021, la mission Justice bénéficiera, hors contribution au compte d’affectation spéciale Pensions, de 8,2 milliards d’euros en CP. Il n’y a donc pas d’effet « Dupont-Moretti » puisque le budget est simplement ce qui a été adopté en loi de programmation avec le rattrapage de ce qui manquait au budget pour 2020. Si l’on considère que l’application de la loi votée est une « avancée historique », je me demande bien, mes chers collègues de la majorité, quel crédit vous accordez à votre propre vote…
En outre, le projet de loi de finances prévoit un schéma d’emplois de + 1 500 équivalents temps plein (ETP), qui dépasse légèrement le chiffre prévu dans la loi de programmation. Le Gouvernement a par ailleurs annoncé une création exceptionnelle de 950 ETP à compter de la fin de gestion 2020 pour renforcer la justice de proximité. L’ensemble des programmes de la mission voient leurs moyens budgétaires et humains progresser. Néanmoins, l’efficacité d’une politique publique ne tient pas uniquement à l’importance des crédits et des emplois dont elle dispose : encore faut-il que l’augmentation des moyens s’accompagne d’une amélioration significative des performances du ministère de la justice et de la manière dont ces moyens sont concrètement alloués et déployés.
À ce titre, je crois nécessaire de soulever trois points d’alerte et d’inquiétude majeurs.
- Concernant la justice judiciaire :
Le « bleu budgétaire » confirme l’allongement des délais de jugement des juridictions. Ce n’est pas une surprise, et j’alerte sur ce point depuis plusieurs années maintenant. Il est vrai que la crise de la COVID est venue perturber l’activité des juridictions en 2020. Néanmoins, reconnaissons-le, mes chers collègues, il s’agit là d’un problème structurel. La situation était déjà très critique avant la crise. Plus que jamais, il est désormais indispensable et urgent que le ministère de la justice se saisisse pleinement des moyens supplémentaires qui lui sont octroyés pour réduire l’engorgement des juridictions de notre pays.
- S’agissant de l’administration pénitentiaire:
Celle-ci se voit confier des moyens considérables : 4,3 milliards d’euros en CP et même 6,3 milliards d’euros en AE, soit une augmentation de 75% par rapport à 2020. Il s’agit, bien évidemment, de poursuivre le plan de création de 15 000 nouvelles places dans les prisons d’ici 2027, dont 7 000 d’ici 2022. Toutefois, là encore, mes chers collègues, tout n’est pas qu’une question de moyens. Les derniers exercices budgétaires ont montré la difficulté du ministère de la justice à consommer l’intégralité des crédits prévus pour ses investissements immobiliers. C’est donc avant tout le pilotage du « plan prisons » qu’il convient d’améliorer.
Je ne suis d’ailleurs pas le seul à émettre des doutes sur ce point. Le secrétariat général pour l’investissement (SGPI), qui est, comme vous le savez, chargé de réaliser des contre-expertises sur les grands projets d’investissement, émet lui-même un avis réservé sur la réalisation du « plan prison » – je dis bien : un avis réservé. Vous en trouverez la preuve en page 31 du « jaune budgétaire » sur l’évaluation des grands projets d’investissements publics, annexé au projet de loi de finances pour 2021.Tout cela est inquiétant et témoigne d’un certain recul dans la lutte contre la surpopulation carcérale.
- Enfin, concernant le renforcement de la justice de proximité:
Le Gouvernement a annoncé une enveloppe de 200 millions d’euros et 950 emplois supplémentaires pour lutter contre la délinquance du quotidien et rapprocher la justice des justiciables. La mesure est bienvenue. C’est d’ailleurs cette ligne que j’avais défendue lors des débats sur la loi de programmation et de réforme pour la justice. Toutefois, il faut que ces moyens soient mis au service d’une réelle justice de proximité. Cela suppose l’affectation d’au moins un nouveau magistrat dans chaque tribunal judiciaire, pour lutter contre la tendance à l’éloignement de la justice dans les territoires ruraux et garantir la présence d’un juge d’instruction à temps plein dans chaque tribunal judiciaire. Or, rien ne le garantit aujourd’hui. Il faudra que le Gouvernement s’y engage, sous peine de remettre en cause la parole de l’État.
Mes chers collègues, je m’arrête là pour cette intervention liminaire, mais nous aurons l’occasion d’approfondir certains sujets lors de l’examen des amendements. En tout cas, mes trois points d’alerte majeurs justifient que je recommande une opposition à ce budget qui, je le rappelle une nouvelle fois, est conforme à ce que nous avons voté il y a un peu plus d’un an en loi de programmation, ni plus, ni moins. Je vous remercie ».