Fin de vie : les manipulations de Madame Firmin Le Bodo

Publié le 20/07/2023 dans les catégories Santé Vie sociale Médias

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Aide active à mourir
Fin de vie : les manipulations de Madame Firmin Le Bodo

Agnès Firmin Le Bodo pilote l’élaboration du projet de loi sur l’aide active à mourir. L’avant-projet de loi légalise l’aide active à mourir et consacre le droit d’accès aux soins palliatifs. La démarche adoptée constitue une manipulation sémantique, juridique et politique.

Madame Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé, pilote l’élaboration du projet de loi sur l’aide active à mourir. Cette réflexion se déroule au sein de deux groupes de travail : l’un réunissant des représentants de professions de santé pour consultation, l’autre associant des parlementaires. L’avant-projet de loi légalise l’aide active à mourir et consacre le droit d’accès aux soins palliatifs. Force est de constater que la démarche adoptée constitue en réalité une manipulation sémantique, juridique et politique.

L’emploi de l’expression « aide active à mourir » a pour objet d’éviter de recourir aussi bien au mot d’euthanasie, qui renvoie à une période particulièrement sombre de l’histoire de l’Humanité, qu’à la notion de suicide assisté, oxymore antinomique avec toute politique de prévention du suicide. Mais que signifie précisément cette expression d’aide active à mourir ? Quelle forme revêtirait l’acte létal ? Qui serait responsable de cet acte ? Le médecin dans le cadre de l’euthanasie ou le patient dans le cadre du suicide assisté ?

Comment s’engager dans un tel flou, s’agissant au surplus de liberté individuelle, alors que la jurisprudence constitutionnelle exige que la loi soit accessible et intelligible ? Ce flou s’apparente d’autant plus à une tricherie sémantique que les législations qui se réclament de l’aide active à mourir ne sont en réalité que des lois ayant légalisé l’euthanasie.

L’exemple du Canada est éclairant à cet égard : 10 000 euthanasies pour 7 suicides assistés en 2021.  Il en va de même de l’Espagne et des Pays-Bas. Quand elle a fait le choix de la légalisation de l’euthanasie en 2002, la Belgique au moins n’a pas joué avec les mots mais a pleinement assumé sa décision. Sa loi s’appelle « loi relative à l’euthanasie ».  Manifestement, Madame Firmin Le Bodo ne veut pas sémantiquement assumer le contenu du projet qu’elle veut pourtant défendre. Rappelons-nous de cette maxime d’Albert Camus lorsqu’il écrivait que mal nommer les choses c’était ajouter du malheur au monde.

Cette tromperie sémantique se double d’une grossière approximation juridique. Les auteurs de l’avant- projet de loi plaident pour une insertion de cette aide active à mourir dans le code de la santé publique. Pas un seul pays ayant légalisé l’euthanasie ou le suicide assisté n’a fait ce choix aux fortes implications symboliques. Tous sont passés par des lois autonomes indépendantes du Code de la Santé ou par une modification directe du Code Pénal. Serait-ce cela le « modèle français » de l’aide active à mourir :  faire croire que celle-ci est un traitement ou un soin ayant sa place dans le code de la santé publique, à côté des actes de prévention, d’investigation, de traitement et de soin ? C’est parce qu’ils sont opposés à cette assimilation de l’euthanasie à un traitement ou à un soin que le ministre de la santé, le ministre de la solidarité, de l’autonomie et du handicap ainsi que 13 plateformes de soignants représentant 800 000 professionnels de santé récusent cette logique. Ne serait-il pas paradoxal qu’alors que notre pays a retiré du Code pénal la possibilité donnée aux juges de condamner à mort, cette prérogative soit conférée à des médecins et inscrite dans le Code de la Santé Publique ?

A la vérité, les promoteurs du droit à l’aide active à mourir éprouvent quelque gêne à l’assimiler aux traitements et aux soins. Ils n’ont eu d’autre choix que de lui trouver une place dans le code de la santé publique après un article traitant de « médiation sanitaire et d’'interprétariat linguistique », à un endroit bien éloigné des dispositions régissant l’accès aux traitements et aux soins. Pris à son propre piège, cet avant- projet a décidément l’euthanasie honteuse, à l’image des 40 % d’euthanasies non officiellement déclarées en Belgique.

Plutôt que d’afficher dans le code pénal l’aide active à mourir comme une exception à l’homicide volontaire, on préfère détourner les valeurs qui fondent profondément et consubstantiellement tout l’édifice juridique du code de la santé publique pour les soignants. Il faudrait en tirer toutes les conséquences. Ainsi, la traduction juridique du serment d’Hippocrate interdisant au médecin de provoquer délibérément la mort à l’article R 4127-38 devra être abrogée. Là encore, sur le terrain juridique le texte proposé dans le code de la santé publique dépasse celui adopté par la Belgique en 2002. Tout cela interroge très profondément car il s’agit, à n’en pas douter, d’une rupture anthropologique majeure.

La manipulation a enfin une dimension politique. Pour tenter de convaincre celles et ceux qui sont réticents à légaliser l’euthanasie et le suicide assisté, le texte développe des dispositions sur l’accès aux soins palliatifs. Qui ne pourrait y souscrire ? Mais la ficelle est grosse. Le droit aux soins palliatifs est reconnu depuis 1999. Les lois de 2005 et de 2016 sont venues apporter des avancées supplémentaires à l’édifice. Nous n’avons nul besoin de nouveau droit déclamatoire d’accès aux soins palliatifs car ils existent déjà. L’humilité et l’urgence nous commandent de financer des lits de soins palliatifs et des formations dans les 21 départements qui en manquent.

Ce ne sont pas les 40 millions d’euros annuels du plan de soins palliatifs qui y pourvoiront dignement. Il est très inquiétant de placer sur le même plan, dans un seul et même texte, la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté avec le droit aux soins palliatifs. Les premiers arrêtent les traitements pour tuer alors que les seconds visent à soulager la douleur. Les premiers obéissent à une logique sociétale procédant d’une démarche d’autonomie individuelle, alors que les seconds s’inscrivent dans une démarche de solidarité.

Pour finir, alors qu’une légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté a vocation à être d’effet immédiat, les efforts en faveur des soins palliatifs ne pourront se traduire que dans plusieurs années.

Un tel sujet mérite bien mieux qu’une improvisation sémantique, juridique et politique. Retrouvons collectivement le sens de la véritable fraternité. De celle qui écoute l’autre, qui protège le faible et qui accueille dignement afin que personne ne décède dans la solitude, la souffrance ou l’acharnement thérapeutique. Et surtout ne nous y trompons pas : améliorer la fin de vie, c’est « mettre le paquet » sur les soins palliatifs. L’urgence est véritablement là, ne nous laissons pas aller à détourner le regard de l’essentiel avant de toucher à la loi actuelle. Comme le disait si justement Montesquieu : celle-ci ne doit être touchée que d’une main tremblante.

Par Patrick Hetzel , Député du Bas-Rhin, Vice-Président du Groupe Les Républicains

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