Redonnons confiance aux décisions publiques en matière de permis de construire aux abords des monuments historiques !

Publié le 18/02/2019 dans les catégories Culture & Patrimoine

Texte paru dans la rubrique « Débats » du quotidien Le Monde le 14 février 2019

La France a mis en place un important dispositif légal afin de protéger le patrimoine architectural : un Code du Patrimoine et un Code de l’Urbanisme existent. On parle assez volontiers de l’esprit Malraux qui a fortement œuvré pour que notre pays prenne conscience de la richesse patrimoniale qu’il fallait protéger, restaurer et entretenir. Du coup, l’arsenal législatif comporte des règles précises comme par exemple l’obligation d’effectuer des demandes de permis de construire ou de démolir qui peuvent nécessiter la consultation de l’architecte des bâtiments de France (A.B.F.).
En fonction du type d’espace protégé, cet avis est de trois types: consultatif, simple ou conforme. Consultatif veut dire que le maire peut décider de demander un avis à l’A.B.F. avant de décider; en cas d’avis simple, le maire est obligé de demander l’avis de l’A.B.F. mais il peut passer outre celui-ci et enfin, en cas d’avis conforme, le maire doit impérativement suivre cet avis qui s’impose à lui et à celui qui a demandé le permis de construire.
Mon expérience d’élu m’a montré que ces règles juridiques sont extrêmement contraignantes. Elles constituent un frein plus qu’un avantage dans un certain nombre de situations. Cela se vérifie tout particulièrement en milieu rural. Les problèmes rencontrés sont de différents ordres. Tout d’abord lorsqu’il y a obligation d’un avis conforme, les délais sont rallongés. Par ailleurs, ce que réclame l’A.B.F. implique souvent des dépenses supplémentaires pour l’investisseur ce qui conduit parfois ce dernier à abandonner son projet, laissant alors paradoxalement se développer dans nos communes rurales des bâtiments qui se dégradent dans le cœur même des villages alors qu’ils auraient pu être restaurés. Ce n’est pas l’esprit Malraux.
Autre difficulté fréquente, les demandes de l’A.B.F. sont différentes en fonction de l’A.B.F. ce qui pose un problème de lisibilité et de continuité de l’action publique dans le temps et dans l’espace et surtout rend les avis des A.B.F. difficilement compréhensibles. Ce n’est pas l’esprit Malraux. Lorsqu’un projet nécessite un avis conforme d’un A.B.F. nos concitoyens demandent généralement à un architecte libéral de dialoguer avec l’A.B.F. et là encore, ces architectes sont souvent frappés par la rigidité d’un certain nombre d’A.B.F. dans leurs demandes.
Les A.B.F. sont très craints car ils ont un véritable pouvoir discrétionnaire. Ce n’est pas l’esprit Malraux. Lorsque des projets sont envisagés se pose évidemment aussi la question de l’équilibre entre le contemporain et l’ancien. Là encore, certains A.B.F. voudraient mettre la France sous cloche en rejetant parfois la modernité architecturale à proximité de bâtiments anciens, ce qui fige les choses. Ce n’est pas l’esprit Malraux.
En somme, les A.B.F. ont un pouvoir exorbitant et leurs décisions peuvent hélas aller à l’encontre de ce que voulait le législateur. Les A.B.F. sont devenus des Cerbères tellement craints qu’ils finissent par inhiber bon nombre de projets. Sans compter qu’ils prennent souvent ces décisions loin du terrain. J’entends très souvent :  « ne pourrait-on pas permettre aux élus locaux de décider plutôt que des personnes qui ne connaissent pas la réalité de la commune et qui nous imposent des décisions très subjectives alors que c’est nous qui vivons ici et que cela impacte notre quotidien ? ». Il faut rapprocher la décision du terrain. C’est pourquoi je propose que dans le cas des abords des monuments historiques, on puisse remettre en cause l’avis conforme. J’exclue les sites patrimoniaux remarquables pour lesquels il faut pour le moment maintenir les règles existantes. Il faut désormais laisser la possibilité au maire de passer outre l’avis de l’A.B.F. Pour éviter que l’on ne remplace la subjectivité d’un professionnel de l’architecture par la seule subjectivité d’un élu, je propose que pour passer outre l’avis de l’A.B.F., le maire doit recueillir l’avis de son conseil municipal. On disposera ainsi d’une décision collégiale. Je recommande que cette décision soit prise à la majorité des deux tiers. Ainsi, dans la plupart des cas, au moins quelques membres de l’opposition municipale auront également donné un avis favorable. Cette proposition ne coûtera rien, rapprochera la décision du terrain en faisant confiance aux élus de proximité et permettra de lever certains freins aux projets immobiliers dans toutes les communes, surtout à un moment où le pays manque de logements.
Nous aurons restauré l’esprit de Malraux et redonné confiance à nos concitoyens dans les décisions publiques.

Patrick Hetzel,
Député du Bas-Rhin.