Intervention lors du colloque "L’Odyssée de la déplétion B dans les maladies auto-immunes"

Publié le 13/10/2025 dans les catégories Enseignement Sup & Recherche

Intervention du député Patrick Hetzel lors du colloque « L’Odyssée de la déplétion B dans les maladies auto-immunes » à Paris le lundi 13 octobre 2025 sur le thème de la structuration et des enjeux politiques autour des CAR-T :

"Mesdames et Messieurs,

C’est un honneur pour moi d’intervenir aujourd’hui à l’occasion de cette journée scientifique du C3I, consacrée à un sujet d’une importance capitale : l’odyssée de la déplétion B dans les maladies auto-immunes, et plus largement, les nouvelles frontières de l’immunothérapie.

Un grand merci aux organisateurs et plus particulièrement à mon ami le Doyen Jean Sibilia, hélas absent aujourd’hui pour des raisons de santé. Merci aussi au professeur Xavier Mariette, professeur de rhumatologie et qui nous accueille aujourd’hui au sein de son université et plus particulièrement ces locaux de la faculté de médecine de Paris-Saclay.

Le thème que vous m’avez confié — la structuration et les enjeux politiques autour des CAR-T cells — est à la fois stratégique, complexe, et hautement symbolique de la révolution biomédicale à laquelle nous assistons.

1. Ce que sont les CAR-T : promesse thérapeutique et rupture technologique

Les thérapies CAR-T (Chimeric Antigen Receptor T cells) incarnent une véritable rupture scientifique. Initialement développées pour les cancers hématologiques réfractaires, elles s’ouvrent désormais à des indications comme les tumeurs solides, voire certaines maladies auto-immunes, comme vous l’explorez aujourd’hui.

Ces traitements sont issus de la médecine personnalisée la plus avancée : des lymphocytes T du patient sont prélevés, génétiquement modifiés pour cibler des antigènes spécifiques, puis réinjectés pour détruire les cellules pathogènes.

Mais leur spécificité pose une série d’enjeux structurants : médicaux, industriels, économiques, et bien sûr politiques.

2. Enjeux politiques : souveraineté, accès, équité

a) Souveraineté sanitaire et industrielle

Les CAR-T reposent sur une chaîne technologique ultra-spécialisée : plateformes de production GMP, chaînes logistiques sous température contrôlée, outils de bioingénierie avancés… La majorité des CAR-T autorisés en Europe sont produits par des firmes américaines.

Cela interroge notre souveraineté thérapeutique. La crise du Covid-19 a été un électrochoc sur ce sujet : l’Europe — et la France en particulier — doit pouvoir maîtriser ces biothérapies stratégiques.

Le Plan Innovation Santé 2030, porté sous le précédent quinquennat, a commencé à tracer cette ambition. Il faut maintenant que les politiques publiques aillent plus loin :

- Soutien à la bioproduction en France,
- Simplification de l’accès aux essais cliniques,
- Appui à la montée en puissance de plateformes académiques (comme le projet CARMEN ou les unités du CEA, de l’AP-HP, ou de l’Institut Curie).

b) Accès et égalité territoriale

Le coût d’un traitement CAR-T peut atteindre 350 000 à 400 000 euros par patient. Cela pose des défis majeurs :

- Pour la soutenabilité de notre système de santé,
- Pour l’équité d’accès, en particulier entre les métropoles et les zones rurales.

En tant que parlementaire, je suis particulièrement attentif à ce que cette médecine d’excellence ne devienne pas une médecine d’exception.

Les politiques doivent donc structurer un réseau territorialisé, associant :

- des centres d’excellence pour la production et la manipulation des CAR-T,
- mais aussi des centres relais pour le suivi post-thérapeutique.

3. Structuration en France et en Europe : où en sommes-nous ?

a) Des initiatives structurantes existent

- La France a été pionnière dans la recherche sur les CAR-T, notamment via l’Inserm, le CNRS, et les CHU de Nantes, Paris, Lyon ou Marseille.
- Des projets publics-privés se développent, comme Yposkesi, BioNTech en Alsace, ou les CAR-T académiques de l’AP-HP.
- L’Agence de l’innovation en santé est chargée de lever les verrous réglementaires.
Mais nous devons aller plus loin. Car aujourd’hui, la réalité est que moins de 10% des patients potentiellement éligibles à un CAR-T en France en bénéficient réellement.

b) L’Europe doit jouer un rôle moteur

Il est essentiel de créer un cadre européen pour la production, l’évaluation et la prise en charge des CAR-T :

- Mutualisation des données cliniques,
- Harmonisation des procédures de remboursement,
- Soutien à la création d’un Airbus des biothérapies à l’échelle de l’UE.

4. Recommandations politiques concrètes

Permettez-moi de formuler quelques pistes de structuration politique pour renforcer notre stratégie CAR-T à l’échelle nationale et européenne :

a) Renforcer la recherche translationnelle

- Soutien accru aux projets Inserm / CNRS / Universités,
- Développement de biobanques spécifiques,
- Incitations fiscales à l’investissement privé dans les biotechs de thérapies cellulaires.

b) Créer un statut spécifique pour les thérapies innovantes

- Une régulation ad hoc, souple mais rigoureuse,
- Intégration rapide dans les parcours de soins avec suivi médico-économique.

c) Structurer des hubs territoriaux

- Une cartographie des centres d’administration des CAR-T,
- Des crédits fléchés pour la formation des soignants et l’équipement des établissements.

d) Favoriser un modèle mixte public-privé

- Partenariats équilibrés entre start-ups, CHU, et laboratoires pharmaceutiques,
- Encadrement des prix par des accords anticipés avec les autorités de santé.

Conclusion

Les CAR-T ne sont pas seulement une innovation médicale. Ils sont un symbole de la médecine du XXIe siècle : ultra-personnalisée, biotechnologique, connectée. C’est là le triptyque d’une partie de la médecine contemporaine.

Ils sont aussi un test pour nos institutions. Serons-nous capables d’organiser, de réguler, et de démocratiser l’accès à ces thérapies ? La réponse dépend des choix politiques que nous ferons dans les prochaines années.

En tant que député, et ancien ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, je suis convaincu que la France a toutes les cartes en main : excellence scientifique, système de santé solidaire, filière industrielle émergente. Mais il faut maintenant une volonté politique forte, stable et structurante.

Merci de votre attention, et bravo pour vos travaux, qui participent pleinement à cette ambition collective."