Lutte contre la fraude

Publié le 18/09/2020 dans les catégories Vie sociale

La semaine passée, a été adopté à l’unanimité le rapport de la commission d’enquête « relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales ». Patrick Hetzel était le président de cette commission et son collègue Pascal Brindeau en était le rapporteur. Les conclusions du rapport ont été présentées mardi 15 mardi septembre 2020 lors d’une conférence de presse à l’Assemblée nationale.

Patrick Hetzel a prononcé l’intervention suivante à cette occasion :

« Il s’agit d’un sujet sensible pouvant prêter à tous les fantasmes dans l’évaluation des montants. Il peut donner lieu à une caricature voulant faire passer la fraude aux prestations sociales comme la « fraude des pauvres », par opposition aux « fraudes des riches » que seraient la fraude aux cotisations ou la fraude fiscale. Nous avons estimé que cette fraude doit être combattue avec la même détermination, car le préjudice financier est une atteinte directe au principe de solidarité nationale envers les personnes les plus fragiles.

Tout au long de nos auditions, nous avons pu constater que la fraude structurée est en expansion, exploitant les nombreuses failles dans notre système de contrôle.

Si la dématérialisation apparaît dans de nombreux cas comme une avancée bénéfique dans les relations entre les usagers et les organismes de protection sociale, son revers est redoutable : les outils numériques les plus simples, les plus accessibles, peuvent se transformer en instruments de falsification. Il est indéniable que, sur les réseaux sociaux ou sur le darknet, des « kits » de fraude à l’identité et aux prestations sociales sont en vente quasi libre ! Des facilités offertes pour déclarer en ligne peuvent conduire à la création « d’entreprises éphémères » dont le but n’est autre que de permettre la captation frauduleuse de prestations de toute nature. La dématérialisation a pour corollaire son internationalisation exploitée par des réseaux qui peuvent avoir des liens avec des activités criminelles liées au terrorisme.

Nous avons aussi constaté une prise de conscience des organismes gérant les prestations sociales inégalement partagée. Les organismes ont la « culture du versement », estimant ne pas avoir vocation à exercer un contrôle, synonyme à leurs yeux de suspicion. La Cnaf est la seule qui procède à une évaluation du taux de fraude de sa branche. La Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) et la Caisse nationale d’allocation vieillesse (Cnav) refusent de procéder à des évaluations et ne donnent que les fraudes détectées !

Nous avons pu établir que la fraude documentaire et la fraude à l’identité constituent la porte d’entrée la plus importante pour la fraude aux prestations sociales et que les organismes de protection sociale sont encore mal armés pour les détecter. Le service en charge de l’attribution des numéros de sécurité sociale des personnes nées à l’étranger accorde des numéros d’immatriculation sur la foi de documents du pays d’origine reçus par photocopie en noir et blanc, ce qui ne permet pas dans tous les cas de reconnaître la personne ! Lors de notre déplacement dans ce centre, nous avons pu constater, lors d’un test, des bases de données prises en défaut sur différentes identités…

Dès nos premières auditions, est apparue une faille dans le nombre de numéros de sécurité sociale répertoriés. Il est supérieur au nombre total de la population de la France, dans une proportion que l’administration est bien en peine de préciser mais qui est sans doute comprise entre 2,4 et 6,7 millions. De même le nombre de cartes Vitale « actives » – c’est-à-dire avec des droits ouverts – en circulation est sensiblement supérieur au nombre de ressortissants des différents régimes de sécurité sociale, sans que l’administration, là encore, soit capable de fournir un chiffre fiable.

Nos auditions et nos déplacements ont laissé apparaître de façon criante la faiblesse du pilotage national de la lutte contre les fraudes aux prestations. Nous avons mis au jour de multiples zones d'ombre et d'incohérences qui favorisent la fraude. Nous avons été dans l’incapacité d'évaluer avec précision son montant, tant les outils manquent pour distinguer ce qui relève de simples erreurs, de laxisme, de désorganisation des services ou de manipulation délibérée de documents.

Face à ce préjudice financier considérable, nous avons présenté 55 recommandations appelant les pouvoirs publics à un sursaut. Il faut renforcer le dispositif de pilotage national. Il faut adapter et moderniser notre arsenal opérationnel de lutte contre la fraude.

Nous demandons :

-    La création d’une véritable agence nationale de lutte anti-fraude, dotée de pouvoirs d’audit, de conseil et d’injonction à l’égard des organismes de protection sociale.

-    La mise en place rapide d’éléments de biométrie dans les données attachées à la carte Vitale et dans les procédures permettant aux retraités vivant à l’étranger de prouver leur existence.

-    Le développement de la coopération entre les organismes de protection sociale et les services de police judiciaire spécialisés, par des échanges renforcés d’information sur les modes opératoires et en développant les mises à disposition de personnel, afin de lutter contre le phénomène des fraudes en bande organisée.

-    Une accélération de la modernisation des systèmes d’information des organismes de sécurité sociale afin d’améliorer le recouvrement des indus frauduleux et de permettre leur détection sur une durée de cinq ans, conformément à la loi.

-    La création d’un code de la répression de la fraude sociale ou un livre des procédures et des sanctions sociales afin de rationaliser et d’harmoniser les procédures et les sanctions des fraudes sociales. »

Le rapport, fruit du travail de la commission d’enquête consacrée à la fraude aux prestations sociales présidée par Patrick Hetzel est désormais en ligne sur le site de l'assemblée nationale :

Lire le rapport