La dissuasion nucléaire au service des intérêts vitaux de la Nation et sous son contrôle exclusif

Publié le 10/05/2024 dans les catégories Economie Sécurité & Défense

« En ce qui concerne la Défense dans son ensemble, je tiens à vous dire qu'il faut que cette défense de la France soit française. C'est une idée qui ne nous a pas toujours été très familière ces dernières années, je le sais. Il est indispensable qu'elle le redevienne. Un pays comme la France, s'il lui arrive de faire la guerre, il faut que ce soit sa guerre. Il faut que son effort soit son effort. ». Charles de Gaulle (1890-1970), Discours au Centre des hautes études militaires, 3 novembre 1959.

Aujourd’hui encore la vision développée en 1959 par le général de Gaulle, devenu Président de la République quelques mois plus tôt, trouve toute sa force. Un discours clair, simple, compréhensible par tous. Politique mise en œuvre rapidement puisque dès son arrivée au pouvoir le Général de Gaulle a fait accélérer les travaux de mise au point de la bombe atomique entamés par la IVème République. Une première bombe " A " française est testée en plein désert saharien à Reggane en février 1960. Commencent alors les études pour la construction d'une bombe à hydrogène, la première explose à Mururoa en Polynésie en août 1968. Moins de 10 ans après le discours devant le Centre des hautes études militaires, la France est dotée de l’arme nucléaire et construit ou entame la construction des vecteurs de ses trois composantes (les avions Mirage-IV de Dassault, les travaux de construction d'un missile SSBS (sol-sol-balistique-stratégique) et ceux d'un sous-marin nucléaire Le Redoutable).

Au fil des années, la doctrine nucléaire s’est affirmée et renforcée autour de trois grands axes :

  • la dissuasion nucléaire ne protège que les intérêts vitaux du pays. La définition de ces derniers est laissée à l'appréciation du chef de l’Etat, mais il est généralement admis que le territoire, la population et la souveraineté de la France en constituent le cœur. La dissuasion serait susceptible de jouer quels que soient les moyens employés par l'adversaire – autrement dit, la force nucléaire n'est pas seulement destinée à empêcher une attaque nucléaire ;
  • au cas où un adversaire se méprendrait sur la définition de ces intérêts vitaux, ou semblerait s'approcher du "seuil" de ces intérêts, la France se réserve la possibilité de délivrer un ultime avertissement, c'est-à-dire une frappe unique (au moyen d'une ou plusieurs armes), sans doute sur un objectif militaire, destinée à convaincre l'adversaire de cesser son agression et ainsi à "rétablir la dissuasion" ;
  • à titre de garantie ultime, la force de dissuasion doit pouvoir exercer des dommages inacceptables sur le territoire adverse supérieurs à ce que serait l'enjeu du conflit, et ce en toutes circonstances, c'est-à-dire même après une "première frappe" nucléaire adverse sur le sol français.
    Dès février 2020, le Président Emmanuel Macron dans un discours sur la stratégie de défense et la dissuasion nucléaire, devant les officiers de l’École de guerre a affirmé : « Soyons clairs : les intérêts vitaux de la France ont désormais une dimension européenne. Dans cet esprit, je souhaite que se développe un dialogue stratégique avec nos partenaires européens qui y sont prêts sur le rôle de la dissuasion nucléaire française dans notre sécurité collective. Les partenaires européens qui souhaitent s’engager sur cette voie pourront être associés aux exercices des forces françaises de dissuasion. Ce dialogue stratégique et ces échanges participeront naturellement au développement d’une véritable culture stratégique entre Européens ». Le Président Macron a de nouveau indiqué fin avril 2024 : « Nous avons une forme de protection, l’Otan. Comme je l’ai dit à la Sorbonne, il faut maintenant aller plus loin, construire une défense européenne crédible. Ça peut signifier déployer des boucliers antimissiles, mais il faut être sûr qu’ils bloquent tous les missiles, et dissuadent de l’utilisation du nucléaire. Être crédible, c’est avoir aussi des missiles de longue portée qui dissuaderaient les Russes. Et il y a l’arme nucléaire : la doctrine française est qu’on peut l’utiliser quand nos intérêts vitaux sont menacés. J’ai déjà dit qu’il y a une dimension européenne dans ces intérêts vitaux, sans les détailler car cette dissuasion concourrait à la crédibilité de la défense européenne. Je suis pour ouvrir ce débat, qui doit donc inclure la défense anti-missile, les tirs d’armes de longue portée, l’arme nucléaire pour ceux qui l’ont ou qui disposent sur leur sol de l’arme nucléaire américaine. Mettons tout sur la table et regardons ce qui nous protège véritablement de manière crédible. La France gardera sa spécificité mais est prête à contribuer davantage à la défense du sol européen. »

Lors de son audition par la Commission de la défense, en février 2023, Emmanuel Chiva, délégué général pour l’armement (DGA), a rappelé quelques chiffres sur le coût de la dissuasion : 25 milliards d’euros ont été consacrés à la dissuasion pour la période 2019-2023. La loi de finances initiale pour 2022 y dédiait 5,3 milliards d’euros et le projet de loi de finances pour 2023 prévoit 5,6 milliards d’euros de crédits de paiement. La part des crédits consacrés à la dissuasion dans le budget de la mission défense hors pensions reste stable : 12,8 % en 2023 pour 12,9 % en 2022. En 2023, 4,65 milliards d’euros seront dédiés au maintien et au renouvellement des composantes, auxquels s’ajoutent 211 millions d’euros consacrés aux études. Dans le cadre de la loi de programmation 2024-2030, plus de 50 milliards d’euros seront consacrés à la dissuasion nucléaire : elle constitue donc plus que jamais selon les mots même du Président de la République en février 2020 « la clé de voûte de notre sécurité et la garantie de nos intérêts vitaux ». Les Français consentent donc à payer un prix élevé et nécessaire pour assurer leur sécurité et leur indépendance stratégique. Ces annonces réitérées du Président de la République, ainsi que la proposition qu’il soutient de mettre fin au droit de veto des pays membres de l'Union européenne (UE) sur les questions de politique étrangère laisse présager une modification de fond de la doctrine nucléaire française ou du moins font planer une certaine ambiguïté contraire aux intérêts souverains de notre pays.

Pour toutes ces raisons, Patrick Hetzel, avec l’ensemble du groupe Les Républicains, dépose une proposition de loi visant à inscrire dans le code de la Défense nationale la dissuasion nucléaire au service de la protection des intérêts vitaux de la Nation et exclusivement sous contrôle national.