Pourquoi j’ai voté contre la suspension de la réforme des retraites ?
Publié le 14/11/2025 dans les catégories Economie Politique
"Hier, j’ai voté contre la suspension de la réforme des retraites de 2023. Un choix simple, clair, et surtout cohérent avec les grands principes que je défends depuis toujours comme député et que j’ai aussi défendus comme ministre au sein du gouvernement Barnier. Non pas que j’ignore les limites de cette réforme ; toutefois, la suspension crée de l’incertitude supplémentaire et ne règle strictement rien sur le fond. On se contente de renvoyer le sujet à plus loin.
Dans la période politique troublée que nous traversons, il faut parfois revenir à l’essentiel : j’ai voté contre, parce que suspendre cette réforme, c’est renoncer à ce que je crois juste pour le pays. La France n’a pas besoin d’illusions.
La réforme des retraites, aussi impopulaire soit-elle, partait d’un constat de réalité : notre système par répartition ne peut être préservé sans un effort collectif. Cela nous est dicté par les données démographiques.
Cet effort, c’est celui du travail. Or, en ramenant le débat à la seule question de l’âge légal, on entretient une fiction : celle que l’on pourrait « revenir en arrière », comme si la démographie, la dette et les équilibres économiques pouvaient être effacés d’un trait de plume.
Pendant qu’on rejoue le débat sur 64 ans, on oublie l’essentiel : comment garantir durablement la justice et la viabilité de notre système social.
Les chiffres sont connus, mais on feint de les ignorer : le taux d’emploi des plus de 60 ans en France est inférieur de 25 points à celui de l’Allemagne, et même de 30 points à celui des Pays-Bas. Autrement dit, nos voisins gardent leurs seniors dans l’emploi ; nous, nous les écartons trop tôt. Oui, il faut adapter les carrières, mieux protéger les métiers pénibles, tenir compte des différences de parcours. Mais dire que personne ne doit travailler plus longtemps, c’est un mensonge collectif.
La nécessité de travailler davantage ne peut pas s’imposer à tous de la même manière — mais elle doit rester une responsabilité partagée. Depuis vingt ans, chaque gouvernement promet des ajustements « justes » : trimestres offerts, départs anticipés, nouvelles exceptions. Mais la vérité est têtue : la soutenabilité financière du régime n’est toujours pas assurée.
Pendant ce temps, un jeune sur deux pense qu’il n’aura jamais de retraite. Et pourtant, il cotise, lourdement. Dans le privé, 28 % du salaire brut part chaque mois pour financer le système. Ce décalage entre effort réel et confiance dans le système crée une fracture générationnelle profonde. Comment demander à une génération de croire à un modèle dont elle doute déjà de la survie ?
Suspendre la réforme, c’est envoyer un signal dangereux : celui que tout est négociable. Je crains que cette recherche de stabilité politique n’ait l’effet inverse et qu’elle aggrave la défiance des Français. Dans le contexte actuel, marqué par les menaces de censure et de dissolution, le débat budgétaire en cours reste très explosif. Le Projet de Loi de Finances et le Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale risquent de déboucher sur un budget incohérent, bâti sur des compromis politiques plutôt que sur des choix économiques. Et derrière les compromis, il y aura un déficit record en 2026.
Le véritable enjeu n’est pas de « donner des trimestres », mais de redonner de la valeur au travail. Notre pays a besoin d’une politique du travail, pas d’une politique du report. Produire plus, mieux rémunérer l’effort, récompenser l’initiative : voilà ce qui permettra de financer durablement nos retraites, nos hôpitaux, nos écoles. Pas les demi-mesures, pas les suspensions, pas les illusions.
J’ai voté contre la suspension, non par rigidité, mais par cohérence. Parce que je crois qu’en politique, le courage consiste à dire la vérité, même quand elle dérange. Et que l’intérêt du pays mérite mieux que des tambouilles politiciennes."
Patrick Hetzel,
Député du Bas-Rhin,
Ancien ministre.