Réflexions sur fraternité et fin de vie
Publié le 03/11/2025 dans les catégories Santé Vie sociale
"En ce jour de la « Toussaint », alors que nous sortons tout juste du tumulte de l’hémicycle de l’Assemblée nationale, où le débat budgétaire a fait rage durant toute la semaine et jusqu’à minuit dans la nuit de vendredi à samedi, je ne peux m’empêcher de revenir sur un autre débat qui a eu lieu l’an dernier dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale autour de la fin de vie. Depuis, cette question ne me quitte plus. En l’occurrence, je n’arrive toujours pas à comprendre comment nous pouvons en arriver à vouloir considérer collectivement et le consacrer dans la loi, que donner la mort relèverait d’un acte « fraternel » d’autant qu’en amont nous n’avons pas entrepris tout ce qu’il fallait pour généraliser les soins palliatifs et que la loi actuelle prévoit un triptyque essentiel: pas d’acharnement thérapeutique, personne ne doit mourir dans la solitude et enfin, personne ne doit souffrir.
En effet, je reste profondément marqué par ces débats au cours desquels d’aucuns ont d’une part cherché à redéfinir ce que cela signifie que d’ « être humain » et d’autre part, à promouvoir une vision exclusivement matérialiste de la fraternité.
Je reviens donc ici sur ces deux aspects qui continuent de me préoccuper surtout au moment où l’on nous indique que les débats sur cette question devraient être de retour au parlement dans les prochains mois.
Une rupture anthropologique est à l’œuvre: elle consiste à redéfinir ce que signifie être humain !
Une rupture anthropologique signifie un changement profond dans la manière dont une société conçoit la dignité, la valeur et le sens de la vie humaine. Légaliser l’euthanasie n’est pas simplement une question de droit médical ou de liberté individuelle : c’est une transformation du regard sur l’homme.
a) Du principe d’inviolabilité à celui de disponibilité de la vie
Traditionnellement, dans la culture occidentale (inspirée à la fois par le droit naturel, la philosophie grecque, le droit romain et le judéo-christianisme), la vie humaine est considérée comme inviolable. Elle est un bien premier, non négociable, que ni l’État ni l’individu ne peuvent détruire volontairement. L’euthanasie rompt ce principe : la vie devient un bien disponible, dont on peut disposer selon des critères de souffrance, d’utilité ou de volonté. Ce glissement transforme la personne en objet de décision, et non plus en sujet possédant une dignité intrinsèque. Cela interroge.
b) Une mutation de la relation à la vulnérabilité
L’humanité s’est toujours définie par la solidarité envers le faible, le malade, le mourant. Légaliser la mort administrée comme réponse à la souffrance revient à dire : « certaines vies ne valent plus d’être vécues ». C’est donc un renversement : la vulnérabilité n’appelle plus l’accompagnement, mais l’élimination du vulnérable — au nom de la compassion.
c) Une modification du rôle du médecin et du lien social
Le serment d’Hippocrate engage le médecin à soigner sans jamais donner la mort. En légalisant l’euthanasie, la société fait du soignant le dispensateur de mort « compassionnelle ».
C’est une rupture dans la symbolique de la médecine : de gardien de la vie, il devient gestionnaire de la mort.
À terme, cela modifie la confiance entre soignants et patients, mais aussi le lien collectif : la fraternité devient conditionnelle, fondée sur l’utilité ou la souffrance.
Pourquoi une vision exclusivement matérialiste de la fraternité me semble très dangereuse ?
Face à une vision purement matérialiste — où l’homme n’est qu’un organisme biologique dont la valeur dépend du plaisir ou de l’absence de douleur —, plusieurs arguments politiques et philosophiques peuvent être opposés et ils n’ont hélas pas été suffisamment pris en compte lors des débats.
a) L’État ne peut devenir arbitre de la valeur de la vie
Un État qui légalise la mise à mort « compassionnelle » devient le juge de la vie digne ou indigne. C’est une pente dangereuse : ce pouvoir de décider qui doit mourir n’appartient à aucune institution humaine sans menacer la liberté et la dignité fondamentales.
On peut invoquer ici une argumentation républicaine classique : dans un régime fondé sur les droits de l’homme, la vie est un droit inaliénable, non une variable d’ajustement à la souffrance.
b) La fraternité politique suppose le soin, pas la suppression
La fraternité, au sens politique, signifie que la communauté reconnaît la valeur de chaque membre, surtout du plus fragile. L’euthanasie, en prétendant soulager, remplace la solidarité par la suppression. Elle transforme une obligation collective (accompagner, soulager, entourer) en une solution individuelle (donner la mort).
La vraie fraternité, politiquement parlant, suppose la présence, le soin, le soutien, non l’abandon travesti en compassion.
c) La liberté sans transcendance devient autodestruction
Une conception matérialiste de la liberté — « je dispose de mon corps, donc je peux choisir ma mort » — oublie que la liberté n’a de sens que dans le rapport à autrui et à une valeur supérieure à soi-même.
Une société qui ne fonde plus la liberté sur le respect de la vie se condamne à nier la liberté des plus faibles, car ceux-ci seront poussés à « choisir » la mort sous pression sociale ou économique.
d) La dignité ne se réduit pas à l’autonomie
L’argument souvent avancé pour l’euthanasie est : « mourir dans la dignité ». Mais si la dignité dépend de l’autonomie, alors les dépendants, les malades, les handicapés perdent leur dignité. Une conception politique et humaniste plus juste est celle où la dignité est inhérente à la personne, quelles que soient sa souffrance ou sa dépendance. C’est cette vision — non matérialiste, mais humaniste — qui fonde l’État de droit.
Pour toutes ces raisons, une question reste posée: légaliser l’euthanasie, n’est-ce pas en réalité, vider l’humanité de son âme ? Je formule le voeu que cette dimension puisse pleinement être prise en compte sous peine de nier le sens véritable de notre belle devise nationale."
Patrick Hetzel
Député du Bas-Rhin
Ancien Ministre